mardi 4 mai 2010

AnaCo 2 - Mon être humain

Didier de Lannoy
Vieux Didier s'intronise président-fondateur de la branche congolaise de la famille
(avec Zora Lee et bus 96)
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 2
Deuxième compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : recueil de non-dits, de cartes postales électroniques, de clichés de famille et de « cartons de château » résolument nunuches… dans lesquels, avant sa crevaison, Vieux Didier raconte à sa façon, en se donnant toujours le beau rôle, la vie dure qu’il a menée à Motema Magique et s’applique à faire des mignardises et des chatouilles à presque tout le monde parce que (le contraire aurait été trop risqué) « on ne peut quand même pas dire du mal des pendards de sa propre bande »
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac




Sur l'agence AnaCo, voir aussi:
http://anaco1.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/


Sur le Congo, voir aussi (notamment):



Une journée de scrabble comme une autre


Vieux Didier ne se sentait pas bien. Il avait horriblement mal à la tête. Il étouffait. Il avait envie de vomir.

Une femme assise en face de lui dans le métro

- Ouais, je vois, je devine… Tu revenais encore de la Brasserie de l’Union ? Tu as vu Jan et Henri ? Et Claudine et Jean-Marc ? Et Joëlle et Carmelo ?

ou dans le bus (54 ou 71), lui avait demandé comment il allait, s’il était indisposé, si elle pouvait faire quelque chose pour lui…

Sans doute Vieux Didier devait-il être particulièrement blême ?


Djuna tapait sur le clavier de son ordinateur. Vieux Didier s’est permis de frapper à sa porte

- Monsieur Djuna, me ferez-vous la grâce d’aller chez l’épicier à ma place, m’acheter quelques kilos de tomates et des concombres (et de la coriandre) ? Ton père claque des dents !

- Dans mon village, ce sont les sorciers qui claquent des dents !

- Dans quel village où ça ?

- A Ambly, entre Forrières et Nassogne…

- Arrête ton char, fils de ton père ! Je te dis que j’ai les boyaux vides !

- Tout de suite, Papa, mais tu me laisses d’abord terminer un truc, prendre un bain, m’habiller, me peigner !

à sa porte


Quand Motema Magique est revenue

- Comment ça va, douchka ? Tu as passé une bonne après-midi ?

- Je ne me sentais pas bien ! J’ai bien failli t’appeler mais je n’ai pas voulu gâcher ton après-midi ! J’ai préféré t’attendre…Mais tu en as mis du temps à rentrer, petite chérie… Je commençais à m’inquiéter… Ce sont les travaux du boulevard du Souverain qui ont mis le bus 96 en retard ?

- Non, douchka, le 95 ! Le 96 va à Delta…

- Tu m’embrouilles… Je commence à ne plus m’y retrouver …

de son « scrabble », en début de soirée, Vieux Didier a essayé, vainement

- J’avais horriblement mal à la tête ! J’étouffais ! J’avais envie de vomir ! J’ai eu comme un malaise !

- Ouais, t’avais encore trop bu, quoi ! Et sans avoir mangé ! Comme d’hab ! T’avais perdu le réseau, quoi !

de la culpabiliser…



On ne passe plus commande après vingt-deux heures


Au bar Turon, rue de Mérode, en face de l’épicerie « Au petit coin », à moins de cent cinquante mètres du n°44 de la rue Coenraets (où Vieux Didier doit retrouver Jean-Marie Lahaye, alias « Le Juge », chez Laurent

- Y a trop d’artistes ! C’est plus vivable ! Prônons le rattachement de la Belgique au Congo !

d’Ursel, le lundi 11 septembre 2006, à 16 heures trente, pour une réunion de conspirateurs et de factieux), on sert

- De la Maes !

de la bière à la pression.


Tandis que chez Laurent lui-même, à partir de 16 heures trente, on sert

- De la Maes ! Comme la rue !

de la bière en bouteille que Vieux Didier prend plaisir (ce dont ne semblent s'offusquer ni la femme de la vie de Laurent) (c’est Hélène qu’elle s'appelle) (ni Jean-François Jans, le complice) (et ni

- Evidemment !

le Juge) (et ni les chats de la maison) à

- Affaire prostate numéro un ! Affaire prostate numéro deux ! Numéro trois ! Numéro quatre ! Numéro cinq ! Numéro six ! Numéro sept !

- Prostate ou diabète ?

- Prostate, évidemment ! C’est héréditaire…je tiens ça de Mobutu…

pisser, pisser, pisser, pisser, pisser, pisser, pisser dans un urinoir que n’aurait certainement pas boudé l’oncle Althusser

- Alzheimer, j'te dis !

dont la famille de Vieux Didier lui avait toujours caché l’existence parce que le tonton

- Un libre penseur ! Et qui pissait, pissait, pissait, pissait, pissait, pissait, pissait sur son pantalon !

avait fait ses études à l’Université libre de Bruxelles et s’était

- Un républicain ! Un cosmopolite ! Un anti-patriote !

engagé dans les Brigades internationales.

- Un pyromane ! Un libertaire ! Un sybarite ! Un enculeur de prêtres-sorciers ! Un déviergeur (pour rendre service et faire plaisir) de nonnes-macrales ! Un garrotteur du pauvre Christ sans défense immobilisé (avec du scotch qui poisse et des clous qui piquent) sur une croix de mauvais bois, plein de nœuds, mal raboté !


Le bar Turon (mais c’est aussi

- Le bar d’Arturo ?

- Le bar Turon, j’te dis ! T’es sourd ? T’es saoul ? T’es sourd et saoul ?

un restaurant espagnol « belgicisé » chez qui, tous les soirs, on peut passer commande à partir de

- No me digas !

dix-neuf heures et pas après

- No me digas !

vingt-deux heures !) est le siège d’un club de supporters bruxellois du Real Madrid.


Plutôt sympa mais tout de même moins animé que les bistrots qui rôdent autour de la place de Bethléem !



Ce jour-là à cette heure-là


Il sera 1 heure 23 dans la nuit du 26 avril 1986. Le cœur du réacteur n°4

- Circulez, il n’y a rien à voir ! Le dernier qui sort éteint la lumière !

de la centrale nucléaire de Tchernobyl fondra. Une double explosion dégagera un important nuage radioactif. Muka sera déjà mariée et mère de deux enfants. Elle n’aura même pas vingt-cinq ans.


Mais où seront-ils alors, Muka et Vieux Didier, et

que feront-ils ce jour-là, à cette heure-là, dehors

à Kinshasa ?


Se trouveront-ils, la veille au soir, dans la zone de la Gombe, au numéro 16 de l’avenue du Comité urbain, sur la terrasse ?

Eric, Djuna et Lianja dormiront-ils déjà ?

Muka et Vieux Didier, en début de soirée, en train de bavarder et de picoler (de la Tembo, de la Skol ou de la Primus) et de rigoler et de grignoter des ngubas avec

Monique Fodderie, Dieudonné Ngangura, Victor Matondo, Suke Nzanga, Dany Luntadila, Pierrot Soulié, Christiane Bourlon et avec

Max Ngbanzo Lamangale, Salumu Yamba-Yamba

- Celui qui avait du mal à mettre ses chaussettes et à nouer les lacets de ses baskets après avoir bu une bouteille de whisky dans laquelle des racines aphrodisiaques avaient été mises à macérer ?

- Lui-même !

Maty Kalubi, Jean-Chrétien Ekambo, Baudouin Djogo, Sombo Dibele Awanan et avec

Antoinette Safu Mbakata, sa copine Elisa et avec

Anastase Nzeza Bilakila, Jean-Pierre Kabeya Nyonga, Ima Mukakimanuka, Gaëtan Gatarayiha, Justin Kankwenda Mbaya, Christine Iyofe Isasi, Emile Bongeli Yeikelo ya Ato, Emmanuel Rwiyereka, Magnat, Muhima, Mutiri, Nono Tala-Ngai et avec

Lazare Boteti, Félix Kanyama, Barthélémy Bisengimana, Christophe Gbenye, Mabika Kalanda, Mabi Mulumba, Hubert Tshimpumpu et avec

Wendjo Okitandjeka, Ndam Kasongo, Lutele Nseka, Baruti Amissi, Ekala Bokoswa et avec

Djuna Djanana, Angel Face, Maître Lopez ?


Le quartier « Caisse d’épargne » sera-t-il plongé dans l’obscurité suite à l’explosion d’un disjoncteur de la Société Nationale d’Electricité et Muke et Vieux Didier décideront-ils d’aller voir comment ça se passe (si on y danse et si la bière y est bien fraîche) ailleurs et effectueront-ils, plus tard dans la soirée, leur pèlerinage hebdomadaire à Yolo (Nord et Sud), dans la zone de Kalamu ?


Et débarqueront-ils, avec Pénélope

- Pénélope ?

- Leur bagnole, connue dans tout Kinshasa… une Renault 5 qu’ils avaient rachetée à Françoise Lambinet…

chez Champro King (à la Tempeta de Oro) et passeront-ils ensuite, après avoir vidé quelques bouteilles, devant la place commerciale et la rue de Mpangu et iront-ils saluer Antilope et Maman Alphonsine sur l’avenue Monseigneur Six ?

Ou rendront-ils visite à César (alias Qui Saura) dans son palais ou à Djuna Djanana (et à Angel Face) ou même à Evoloko Joker (au 11.12.13) ?

Ou s’arrêteront-ils chez Sinatu (tout près de chez Willy !) (et du commissariat de police qui fait office de parking surveillé et payant pour les clients du bouge et les habitants du quartier) et Mady ?


Et décideront-ils alors

de passer l’après-minuit au Self-Control (avec Qui Saura ) ?

Et projetteront-ils ensuite

d’attendre le lever du jour chez Tonton Mbaki ?

Et un nuage enfin

- Ça met combien de temps à faire le trajet, un nuage radioactif, de Tchernobyl à Yolo-Sud ?

survolera-t-il la guinguette et lâchera-t-il

- Rien de grave ! C’est juste le chaos !

le 26 avril 1986, presque à l’aube, une averse de grosses gouttes de pluie plombée sur les danseurs et les danseuses (qui se réfugieront en courant sous un auvent) et un serveur passera-t-il aussitôt la raclette sur la piste et essuiera-t-il rapidement les chaises et les tables avec une lavette et les partenaires retrouveront-ils leurs cavalières et la fête continuera-t-elle jusqu’ààààààààààààà ?


En 2005, en Belgique, 17 anomalies et 1 incident ont été constatés aux centrales nucléaires de Doel et de Tihange. Soit deux fois plus qu’en 2004 où seulement 8,5 anomalies et 0,5 incidents avaient été relevés.

7 anomalies ayant

- Un contrôle sanitaire a même relevé la présence, à des taux supérieurs à la normale, de legionella pneumofila dans les douches du personnel !

déjà été décelées au cours des quatre premiers mois de cette année, on peut espérer atteindre un résultat final de 28 anomalies pour l’ensemble de l’année 2006.


On n’a même plus le droit d’être sourd ?


Motema Magique téléphone à Vieux Didier, sur son portable, et lui demande

- Au lieu de t’acheter des crocodiles, douchka, pense plutôt à m’acheter des vitamines !

de lui ramener

- En rentrant de la banque Fortis de la place Flagey (avant Pessoa et le FFBSS) tu passes devant une pharmacie, douchka, au coin de la rue de l’Industrie, non ?

des vitamines…

- Anti-pelliculaires, petite chérie ? Pour tout le corps ou pour les cheveux seulement ?

- Des vitamines complexes !

- Complètes (rapproche-toi de mon oreille, petite chérie) ?

- Complexes (je ne peux pas parler plus fort, douchka, je sors de chez Constant Fodderie, il m’a travaillé les dents) ! Un complexe vitaminique, quoi ! Mais sans fer !

- Tu as peur d’être attirée par un amant, petite chérie ?

- Monsieur est drôle ? On doit peut-être rire ? Quel est le montant (si on ne rit pas) de l’amende à payer ?


Jean Makunga


Cela ne faisait pas si longtemps que Nzeza Bilakila et Vieux Didier l’avaient retrouvé, leur ami, collègue, co-habitant et complice d’une des trois « maisons des professeurs » du collège de Mbanza-Mboma… Jean Makunga.

Après l’avoir perdu pendant, plus ou moins, quelques dizaines d’années… Jean Makunga.


Aujourd’hui

- On est quel jour ?

samedi 14 octobre 2006, Vieux Didier tape son adresse (quelques mois ou, peut-être, un an plus tôt, il s’était « fait un Google », à tout hasard, et avait découvert une adresse e-mail à son nom: makunga@cst.edu) et lui adresse un courriel et aujourd’hui

- On est quel jour, déjà ?

samedi 14 octobre 2006, Vieux Didier reçoit un « autoreply » qui lui annonce ceci :

- We are sorry, but Jean Makunga is no longer at Claremont School of Theology. If you have a library question, please send an email to library@cst.edu.


Vieux Didier fait savoir à Anastase Nzeza qu’ils viennent à nouveau de perdre Jean Makunga.

- Pour encore longtemps ?

- On peut lui faire confiance, les théologiens sont, comme les prestidigitateurs, des spécialistes en disparitions, épiphanies, tours d’escamotage, éclipses et réincarnations, non ? Il réapparaîtra, un jour ou l’autre !


On fait des économies


Septembre. La rentrée. La poisse.

Et voilà que Vieux Didier perd encore

- Ce n’est même pas une vraie dent, douchka ! C’est une « reconstitution historique » que Constant Fodderie t’a fabriquée pour boucher le trou par lequel ta mauvaise haleine fuyait !

une molaire… morte pour presque rien (une arachide, un petit biscuit salé, des olives vertes, une rondelle de saucisson « Zossis »). Et que Vieux Didier pourra à présent se coincer un cigare gros comme une saucisse de Carcassonne dans la maxillaire supérieure droite.

Et voilà que la voiture de Motema Magique est

- Plus moyen d’acheter quatre ou cinq casiers de douze grandes bouteilles de Jupiler au Delhaize de la rue de Hennin !

très sérieusement malade et voilà que l’épicerie de Gourad est

- Pour travaux de transformation !

fermée.

Mais, par ailleurs, le couple réalise-t-il ainsi de substantielles économies (clouons saint Dismas et saint Andesmas recto-verso sur la même croix ?) en ce qui concerne les tomates, les concombres, les poivrons, le pain turc

- Oui mais Gourad est un épicier belge d’origine marocaine, non ?

- Oui mais son pain belge est d’origine turque !

l’essence et les contraventions, les boissons, les côtes à l’os, les gésiers de poulet et le dentifrice (moins de surface à brosser).

Mais les cigares, ça pourrait coûter cher.


La poisse ?

Ben non ! Tout reste encore possible. Ekambo vient d’envoyer un mail, il débarque aujourd’hui

- Ne pas oublier de téléphoner à Suke !

vers 18 heures. Et Max Ngbanzo s’est annoncé pour vendredi soir. Et, sans doute, J.-P. Kabeya et son épouse, Marie, arriveront-ils la semaine prochaine.


Elle ne prévient jamais


Quand Motema Magique s’endort vers 19 heures elle ne prévient jamais…

Elle ne communique pas son programme. Elle ne dit pas si elle va mourir ni quand elle va se réveiller et si elle compte regarder le film de 21 heures sur France 2.

Ses petits cancers rôdent et l’Althusser

- Alzheimer !

de Vieux Didieraussi.


Cette année-ci sera peut-être, comme chaque année depuis vingt-sept ans, leur dernière année ensemble, à Motema Magique et à Vieux Didier ? Leur dernière année « normale » ?

- Et après ?

- Après, on ne sait pas…

- Qui veillera sur l’autre ?

- On ne sait pas…

- Qui trahira l’autre ? Qui attachera l’autre à un arbre, avec une laisse, sur une aire d’autoroute, et prendra la fuite en pleurnichant et s’installera (sur une plage de l’île des Mimosas ou sur les hauteurs boisées de Kasangulu ou dans un sanatorium des environs de Nassogne ou dans l’asile psychiatrique de Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen ou un home de vieillards de Lingwala ou de Kintambo ou dans une maison de retraite de la chaussée de Vleurgat à Ixelles-Elsene où, disent les prospectus, la chaleur est toujours constante) ailleurs ?

- On ne sait pas…

- Qui tuera l’autre et le découpera (dans un atelier clandestin de la rue Ropsy-Chaudron) en petits morceaux afin de pouvoir (faute de cercueil) l’empaqueter dans une dizaine de boîtes à chaussures ?

- On ne sait pas…

- Qui appellera les enfants (au boulot ! venez accomplir vos devoirs !) au chevet de l’autre ?

- On ne sait pas…

- Qui enterrera (en cachette, à la hâte, dans un fossé ou dans un champ dont on ne se rappellera bientôt plus où il se trouve exactement) (ou au pied d’un iroko, d’un baobab ou d’un kapokier) l’autre ? Ou préfèrera-t-il (ou elle) faire appel aux Etablissements Bazar-Plus (tout pour réjouissances et prestations funéraires), à Kaplimé, sur le chemin du rail (Gakpodji), à côté du tisserand Sabah ?

- On ne sait pas…

- Qui signera un important traité commercial avec la République Populaire de Chine ?

- On ne sait pas…


Comme un modèle de Bonnard qui se serait fait avorter dans une baignoire émaillée


D’abord Mbwa Mabe dépose ses valises, puis il mange du pain sec arrosé à l’eau du robinet

- On ne bouffe pas de la merde de bébé tous les jours, douchka !

- Mais qu’est-ce que c’est bon, petite chérie !

- Seulement le dimanche, douchka ! Le reste de la semaine, tu te contenteras de crottin de cheval !

puis Mbwa Mabe se masturbe le nez, puis fait pipi au pied du monument aux morts ou contre le mur du cimetière ou dans une bouteille en plastique, fermée par un bouton de rose, déposée au pied d’une tombe récemment creusée, puis il fracture un cercueil avec un pied-de-biche…


Et voilà que Mbawa Mabe viole

- Encore cette femme, douchka ! Mais je croyais que tu t’en étais débarrassé depuis longtemps !

la sépulture de Zora Lee et qu’il met à jour le cadavre, encore frais, d’une faussement jeune et faussement farouche

- Cesse donc de farfouiller dans la boîte à gants de ta femme imaginaire, douchka !

- On se calme ! Personne ne m’a pas vu et je n’ai rencontré personne ! Je suis innocent ! Si tu parles, petite chérie, je te dénonce auprès de ta maman et tu n’iras pas au ciel !

et faussement jolie femme (allongée comme un modèle de Bonnard qui se serait fait avorter dans une baignoire en métal émaillé) (dont tous les orifices auraient été bouchés par des feuilles de manioc et de papayer pilées pour arrêter l’écoulement des eaux et retarder la décomposition du corps) avec un nouveau-né sanglant entre les jambes.


Mon être humain


Ce soir-là, elle aurait peut-être voulu être aimée par un homme fort, sûr de lui, sachant déterrer les souches d’arbre d’un jardin en friche

Et qui puisse la porter dans ses bras et la faire grimper aux rideaux.


Tandis que lui, ce soir-là, préfèrait passer son temps à observer une colonne de fourmis (investissant les shorts déposés au bord de la rivière et profitant de la distraction des nageurs pour leur faire les poches) et

- Et tout ça se seulement passait dans sa tête ! Il n’y a pas un seul brin d’herbe et une seule fontaine dans notre foutue maison de poupée, sans espace, sans soleil et sans jardin !

à couper un filet d’eau avec une paire de ciseaux… comme un chabraque…


Si la seule personne avec qui Vieux Didier se sente bien…

Si Motema Magique (l’avenante, l’accueillante, la chaleureuse, la spirituelle, la joviale, la gentille, la resplendissante, la gracieuse, la radieuse, la talentueuse), qui se montre toujours tellement agréable devant tous les publics et avec n’importe quel

- Et ça ne manque pas les branleurs qui tirent la langue, s’exaltent, font la roue, bavent, pissent et se pâment devant ma femme !

clampin, fait savoir à Vieux Didier qu’elle en a marre de mener une vie sordide avec un minable de merde et

- Pourquoi pètes-tu les plombs, petite chérie ? Qu’est-ce qu’il te prend subitement ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? Pourquoi, depuis ce soir, tu n’arrêtes pas (rosse, perfide, maussade, hostile, trompeuse, méchante, venimeuse, agressive, sans plus aucun humour ni plus aucune connivence) (et avec toujours un mot qui blesse en bouche) de me critiquer, de me provoquer, de me quereller, de me gourmander, de me rabattre et d’essayer de m’humilier ?

fait semblant de se rendre aux toilettes et déserte le lit conjugal, sous les combles, et si va s’enfermer dans une chambre sale et poussiéreuse, en sous-sol, qui est aussi le local de la chaudière et du chauffe-eau

- Pourquoi me fais-tu ça, petite chérie ? Que cherches-tu ? A me rendre coupable de quoi ?

à clef, en pleurant… alors Vieux Didier se sent profondément blessé et vomit dans la cuvette qu’il garde toujours au pied de son côté du lit et s’imagine

- Es-tu tellement malheureuse avec moi ?

- C’est la moutarde !

- Suis-je vraiment si insupportable ?

- C’est la moutarde, j’te dis !

que Motema Magique n’a plus de tendresse pour lui et…

- Ce n’est pas comme ça qu’on doit vivre ensemble, petite chérie ! Je ne supporte plus que tu me brutalises ! Je ne supporte plus de te voir malheureuse et de faire pleurer ! Je te hais et je me hais ! Pourquoi plisses-tu le front lorsque je te carresses le front ?

l’envie lui prend, ce soir, d’être quitté…


Et pourtant Motema Magique sait bien que Vieux Didier ne vit que par, pour, avec, d’après et

- Et c’est bien ça, ce qui m’énerve, douchka !

autour d’elle et

- Je ne pourrais jamais me disputer, de façon aussi lamentable, avec quelqu’un d’autre que toi, petite chérie !

qu’il n’est pas son loufiat ni son sectateur mais

- Avec qui d’autre que toi, petite chérie, pourrais-je vivre, de façon aussi joyeuse, qu’avec toi ?

qu’il n’a pas choisi d’être l’âme damnée de n’importe quelle engeance…


Vieux Didier aime Motema Magique.

- Même quand on se chamaille et qu’on se tire la gueule, c’est toujours toi que je préfère !

Mais, ce soir-là, ça grince.

Motema Magique dort à la cave (qui, fort heureusement, n’est pas régulièrement inondée par les débordements d’un ruisseau de catégorie 2) et Vieux Didier au grenier.

Chacun dans sa planque, chacun dans son terrier…


Avait-ils senti l’orage venir ?

Ce soir même, ils s’étaient excusés de ne pouvoir se rendre à une fête de mariage parce qu’ils étaient invités, depuis longtemps déjà, à une soirée chez des amis et ils avaient également

- Tant qu’on y est !

décliné cette invitation en prétextant qu’ils devaient absolument assister à un mariage…


Et donc ils étaient coincés à la maison et ne pouvaient même plus, pour se détendre, aller faire un tour à Matonge…

Ils auraient risqué de retrouver, chez Vieux Henri ou ailleurs, tout ou partie des personnes conviées à la noce... Ou même le père du marié… Ou le marié lui-même… Ou les gens qui les avaient invités et qui auraient décidé de finir la soirée au bistrot…


De toute manière, il aurait d’abord fallu qu’ils se réconcilient, non ?