mardi 4 mai 2010

AnaCo 2 - Vieux Didier aurait-il encore oublié de reboucher le tube de gel vaginal de Motema Magique après s’être brossé les dents ?

Didier de Lannoy
Vieux Didier s'intronise président-fondateur de la branche congolaise de la famille (avec Zora Lee et bus 96)
Dépêches de l'agence de presse privée Ana et le Congo (AnaCo) - Série 2
Deuxième compil de dépêches (déchaussées, divagantes, yoyotantes) de l’agence de presse privée AnaCo : recueil de non-dits, de cartes postales électroniques, de clichés de famille et de « cartons de château » résolument nunuches… dans lesquels, avant sa crevaison, Vieux Didier raconte à sa façon, en se donnant toujours le beau rôle, la vie dure qu’il a menée à Motema Magique et s’applique à faire des mignardises et des chatouilles à presque tout le monde parce que (le contraire aurait été trop risqué) « on ne peut quand même pas dire du mal des pendards de sa propre bande »
Nassogne (Badja), Matonge (Bruxelles), 2006-2007
Extraits - En vrac


Sur l'agence AnaCo, voir aussi:
http://anaco1.blogspot.com/

et
http://anaco3.over-blog.net/


Sur le Congo, voir aussi (notamment):



Une décoiffée et un sans-culotte… Elle aurait voulu pourtant qu’il soit quelqu’un d’autre



Fin décembre 2005. Vieux Didier rentre du Togo. Motema Magique le coque-en-pâte.

Elle range ses valises et le

- Ça pue !

déshabille, le toilette, le bouchonne, lui mouche le nez et

lui torche le cul, panse ses plaies, lui place une sucette en bouche, lui donne un nounours à bercer et

le borde jusqu’au menton… et lui amène à manger au lit, sur un plateau… du steak et

- Encooore !

du steak et du steak à midi et

- Sacré damage !

le soir, un mouton de deux gigots pour lui tout seul…


Vieux Didier rote avec jubilation, lâche un pet de basse et bande de plaisir…


Et voilà que, clic ! Motema Magique, clic ! tire la gueule, clac… subitement… Elle ne dit plus rien, elle ne rit même pas, elle ne pleure même pas… elle est absente, elle…

- Non, pas maintenant ! Pas tout de suite !

refuse son corps à Vieux Didier...

Sans raison apparente, clac ! Alors même qu’elle

- Comme d’habitude !

n’a pas encore lu (peut-être… si cela avait été le cas, aurait-il pu alors comprendre…) le bouquin que Vieux Didier vient d’écrire sur Nassogne (et sur elle, évidemment) au Togo…

Mais, peut-être… en at-elle déjà entendu parler et…

- Qui m’a trahi ? Gougoui Kangni ? Kangni Alem ?

Le lit conjugal se trouve-t-il menacé par la montée des eaux du Maelbeek et des étangs d’Ixelles ?

- Que te pasa, mujer ?

- Tu viens à peine de rentrer et déjà tu pètes et tu rotes ! Et voilà que tu te mets à bander ! Comme une bête ! Comme un malappris ! Tu n’as pas de bonnes manières ! Tu ne sais pas t’y prendre ! J’aurais voulu… J’aurais voulu avoir un mari moins gras, plus fin, moins lourd, plus subtil, moins épais… J’aurais voulu avoir un mari délicat qui se frotte les lèvres discrètement, avec une serviette de table, avant de porter un verre à ses lèvres…

- Et c’est après autant d’années de vie commune que tu me dis ça ?

- Vingt-sept ! On a commencé très tôt, n’oublie pas ça…

Est-ce la noyade assurée ?

- J’espérais que tu allais changer et que j’allais pouvoir te retrouver… comme tu étais (tendre et rêveur, gentil, attentif, naïf et intimidé, serviable et tolérant, impertinent peut-être mais jamais grossier), lorsque je t’ai rencontré… Tu as perdu tout ça ! Je sais bien qu’il est impossible de revenir en arrière… mais j’espérais, à défaut, que tu deviennes une autre personne ! C’est pour ça que je t’ai envoyé là-bas, au Togo, chez Gougoui, prendre des couleurs ! Je suis vraiment très déçue !

- Une autre personne ?

- J’attendais avec impatience que tu reviennes, douchka… mais j’aurais voulu que tu changes de bruits et d’odeurs, que tu te métamorphoses, que tu deviennes quelqu’un d’autre ! Quelqu’un qui sache s’habiller et qui aie du goût ! Un type élégant, beau et fort ! J’aurais voulu que tu sois différent ! J’aurais voulu que tu me surprennes ! J’aurais voulu que tu n’oublies pas de faire ton rot avant de t’endormir sur mon ventre !

Vieux Didier doit-il quitter les plages et les lagunes de Fernand Cocq et d’Emilien

- Pas Emilien, douchka ! Eugène… Tu confonds tout… Emilien c’est le mari d’Henriette !

Flagey… et émigrer vers les hauteurs de Kisenso ou de Kasangulu ?


En acceptant de vivre avec Vieux Didier, Motema Magique n’avait, certes, pas épousé

- Je sais, ce n’est pas toujours génial d’être jeune, douchka ! Je te comprends… Moi, quand j’étais plus petite, je détestais les choux de Bruxelles et les chicons, quoique…

la jeunesse... Elle n’avair pas non plus épousé la richesse…

- Ce n’est pas non plus tellement bien d’être riche, quoique…

Elle l’avait choisi « comme il était » mais

- Tu es mon occasion d’Europe, douchka, je t’ai acheté en solde, au rabais, moins cher…Je t’ai aimé pour les papiers, eh ! Kaka mpo na profit, mpo naya na Poto, oh !

elle avait, quand même

- Et c’était vraiment nécessaire ! Tu me faisais honte, douchka ! Surtout quand tu mangeais ! J’avais pitié aussi !

essayé (mais sans doute était-il trop tard, tous les mauvais plis étaient-ils déjà pris) de recommencer l’éducation et de

- J’aurais voulu t’apprendre à peler une banane avec un couteau et te servir d’un fourchette pour la mettre délicatement en bouche, rondelle après rondelle… à manger à table plutôt que dans ton lit, devant la télé, sur un plateau… à utiliser des assiettes en porcelaine plutôt que des écuelles en alumiunium… et à ne pas casser tout le service en un seul mois… à ne pas couper ta salade avec une paire de ciseaux…

- Et avec quoi alors ?

- Avec les dents, Ducon ! J’aurais voulu t’apprendre à ne pas mettre ton coude dans l’assiette de ton voisin, à manger du poulet avec

- Et la banane aussi ?

- Pas la banane, Ducon… c’est le poulet seulement qu’on peut manger avec la main droite (mais pas avec la main gauche dont… je dois toujours te le rappeler et ça commence à me fatiguer… tu viens de te servir pour faire pipi), à dépiauter les crevettes, à casser les pinces d’un crabe ! J’aurais voulu…

parfaire la culture de Vieux Didier et

- J’aurais voulu que tu lises autre chose que des journaux et que tu boives autre chose que de la bière… J’aurais voulu que tu écoutes des musiques différentes… J’aurais voulu que tes ongles soient propres et que tu cesses de te les ronger… J’aurais voulu que tu saches nager et que tu aimes danser ! J’aurais voulu…

de lui faire comprendre qu’il était souhaitable, chez les « gens bien » mais curieux qui se risquaient parfois (mais pas deux fois) à inviter le jeune couple (un sans-culotte et une décoiffée) (un qui cache ses billets dans son moule-bite et une qui cache les siens dans son soutif), d’uriner avec modestie, sans faire trop de bruit et en refermant bien la porte des toilettes… et qu’il était même possible d’évacuer proprement ses eaux usées, sans inonder la planche et sans mouiller la jambe de son pantalon.

- Apprends à mieux viser ! Et ne secoue pas ton tiche dans tous les sens !


Motema Magique était désespérée.

- Qu'ai-je fait pour mériter ça ?


Et Vieux Didier qui croyait que Motema Magique l’avait élu pour la gracieuseté de ses guibolles, la distinction de ses mollets, la finesse de ses attaches !

Et lui qui croyait que s’il était cul de jatte, Motema Magique (confuse et désespérée) serait devenue une vieille fille… une femme célibataire, een winkeldochter (comme dirait Jan De Cort, l’ancien collègue et l’ami de Vieux Didier à la Régie des Bâtiments), une fille de magasinier

- La fille d’un magasinier, douchka ?

- Celle qui est toujours au comptoir, petite chérie… et qu’on n’arrive pas à vendre… et qui reste « de stock », « en magasin » !

een oude vrijster, quoi !


Un jour… c’était il y a kaaala !… Motema Magique avait pris la main de Vieux Didier et l’avait glissée

- Oh !

- Oh ? Comment ça « oh ! », douchka ?

- Laisse-moi d’abord, petite chérie, te demander poliment, patiemment, tendrement si tu veux bien faire l’amour avec moi… une fois, deux fois, trois fois… avant que finalement, je m’agenouille et que je t’implore… et que, peut-être… tu acceptes… C’est comme ça qu’on doit faire, non ?

entre ses jambes

- Là ! Sur mon là !

- Oooh !

- Lààà…Na eloko yango oyo !

- Eloko yango nini ?

- Miziki !

- Oh !

les poils de leurs pubis s’étaient emmêlés, Vieux Didier

- C’est un hold-up!

- Je n’ai pas de temps à perdre, douchka ! Décide-toi ! Tu n’es pas mon seul fiancé, qu’est-ce que tu t’imagines ! Tu veux que je te vire et que je mette dans mon lit le « banquier » qui habite l’appartement au dessus de l’agence de la Gombe de la BCZ, près du Royal… et qui n’arrête pas de tirer la langue quand il me voit danser ?

s’était pressé contre ses fesses… Ils s’étaient endormis dans les bras l’un de l’autre...


Et ils s’étaient retrouvés mariés…

- Mariés, c’est vite dit, douchka ! Au départ, le programme était clair : on s’aime, on s’aime, on s’aime… et c’est tout… et on s’aime encore et on n’arrête pas de s’aimer…

- Et le mariage, petite chérie ?

- Le mariage, tu veux rire !… A cette époque, on n’y pensait même pas… ça pouvait venir… peut-être… après… si jamais… si ça présentait une utilité quelconque…Il ne faut tout de même pas se marier pour prendre des douches ensemble !

D’abord pour un an, puis pour cinq ans, puis pour « plus longtemps ».

- On verra bien ce que ça donnera, douchka !

Et depuis lors (sauf au tout début… en période d’ « ajustement mutuel »… chacun ayant d’abord quelques vieux dossiers à terminer), Motema Magique et Vieux Didier ne s’étaient plus quittés et étaient toujours

- Tu parles pour toi, douchka ! Que sais-tu de ma vie privée ?

restés fidèles l’un à l’autre…


A cette époque-là, Vieux Didier ne portait pas de masque respiratoire. Il n’y avait pas, au pied de leur lit, un appareil alimenté en électricité par un vélo actionnant une génératrice de courant. Et des cyclistes professionnels (se relayant toutes les trois heures) ne pédalaient pas toute la nuit à leur chevet pour que Vieux Didier puisse voir le jour se lever.


Motema Magique et Vieux Didier s’étaient aussi, une semaine avant la naissance de Djuna,

- Pour les papiers, quoi ! Le permis de conduire, la carte d’inscription au registre des étrangers, le passeport, le visa, le salaire, les allocs, la pension, l’héritage, quoi ! Une simple formalité administrative, quoi !

mariés « officiellement »

- Ne nous bourrons pas trop la gueule et ne rentrons pas trop tard à la maison, petite chérie ! Il est déjà trois heures et demi… et c’est ce matin, à onze heures pile, que nous devons nous présenter à la « zone » !

- C’est vraiment nécessaire que je sois là, douchka ?

- Je crois bien, oui !

comme des jongleurs, comme des « yankés » (au sens kinois du terme), comme des aventuriers.

Personne n’était au courant. Pas même les grands enfants. Pas même les vieux amis. Pas même les collègues du bureau. Sauf le directeur de Vieux Didier, Gatarayiha Majinya et

- La « zone » exigeait deux témoins !

Antoinette Safu Mbakata, la grande copine de Motema Magique

Et, bien sûr, le préposé à l’Etat-civil et le « commissaire de zone » et président sectionnaire du MPR de la Gombe.


Les familles de Vieux Didier et de Motema Magique ne s’étaient jamais rencontrées. Aucune dot n’avait jamais été versée. Il n’y avait jamais eu de mariage coutumier.


Les oiseaux s'embrassent


C’est le début des vacances d’été.

Le beau temps est revenu. Les plages sont nombreuses, bondées, superbes, sableuses, gratuites, éclairées, entretenues, surveillées, accueillantes, facilement accessibles, ouvertes à la promenade, au sport et à la baignade.

De nombreux incendies sont signalés dans le sud de l’Europe, à proximité des stations balnéaires de France, d’Italie, de Slovénie, de Croatie, de Bosnie, de Grèce, de Turquie, du Portugal, d’Espagne et dans les îles à charters de l’Atlantique et de la Méditerranée. Et la situation peut parfois tourner au drame. C’est ainsi que plus de cinq véhicules de tourisme ont été détruits sur un parking, dans les Alpes Maritimes… et que l’intérieur d’un appartement de location, dont les fenêtres étaient restées ouvertes, a été ravagé par le feu… et que des yachts et des bateaux de pêche ont dû se porter au secours de vacanciers bloqués sur un rivage de sable, réfugiés sous des parasols, au bord de la mer, dans les Pouilles.

La grippe aviaire est de retour. Les rassemblements de volailles sont interdits. Les courses de pigeons aussi. Les oiseaux de souche évitent tout contact avec les oiseaux migrateurs. Pour le seul mois de juin, plusieurs centaines de clandestins se sont noyés dans les eaux du détroit de Sicile ou au large des Canaries

Des estivants belges prennent contact avec leur assurance voyage. Et leur ambassade. On les invite à évacuer leur camping.

Les corps d’une vingtaine de migrants d’origine africaine sont repêchés le long du littoral.


C’est le début des vacances d’été.

Lolo a été hospitalisée à Jobourg mais il semble qu’elle s’en tirera. Jipéji a été transféré au centre de réadaptation neurologique de Brugmann mais nul ne peut préjuger de son état futur.

Les nouvelles d’Henri ne sont pas bonnes... Henri, un homme tourmenté mais rayonnant, exigeant mais juste... Et d'une infinie tendresse (ce sourire des yeux et des lèvres, ce mouvement du cou qui, parfois, donne l'impression de se déboîter !)

Özdemir est mort.

Monik est triste. Immensément. Infiniment. Absolument. Personne ne peut la consoler.



Child Focus


Ainsi donc

- Mais enfin, Jipéji est hospitalisé, non ?

- Et alors ? grognerait Jipéji… Qui dit que je suis « contraire » ?

m’est-il interdit (pendant combien de temps encore ? pendant toute la durée de sa « revalidation » ? ça va durer longtemps ?) de diffuser largement, dans des délais utiles, à toute une série d’amis communs, les dernières dépêches de l’agence AnaCo ?


Ainsi donc dois-je continuer de passer sous silence

- Une « vieille » information, non ? Datant au moins de la semaine dernière, non ?

que le gouvernement nigérian (premières auditions à Kano le 26 juin prochain) réclame 7 millions de dollars de dommages et intérêts au laboratoire Pfizer pour l’expérimentation

- En 1996, quoi ! Il y a prescription, non ?

d’un antibiotique sur

- Dans le cadre d’un action humanitaire, non ?

une centaine

- Onze d’entre eux sont morts, non ? Pas plus ! Les autres souffrent seulement de cécité, de surdité, de paralysie, de troubles de la parole et de lésions cérébrales, quoi!

d’enfants touchés par une épidémie de méningite et de rougeole dans l’Etat de Kano sans que les parents aient pu donner leur « consentement éclairé » ?


Dois-je aussi taire que les soldats américains ont découvert, couchés à même le sol, dans une pièce de l’orphelinat Al-Hanan à Bagdad, plusieurs corps d’enfants, couverts de plaies et assaillis par les mouches, et qu’ils ont jeté alors

- Même pas une grenade !

un ballon de basket dans la pièce pour voir si les mômes réagissaient et que

- Oh, ils sont vivants !

l’un d’entre eux a redressé la tête et qu’il a ouvert les yeux pour voir ce qui se passait et qu’il

- Mais sans doute ce gamin-là n’aimait-il pas le basket et préférait-il le soccer ? Ou peut-être, tout simplement, détestait-il les Américains qui avaient tué son père et sa maman ?

s’est allongé à nouveau par terre ?


A-t-elle sauté d’un camion en marche pour ne pas finir sa vie sur un croc de boucher ?


Le cadavre d’une vachette jonchait la route. Couchée sur le côté. Un filet de sang lui coulant des oreilles.

Etait-elle seule ? Qui l’accompagnait ? Avait-elle été heurtée par un tracteur alors qu’elle traversait la chaussée ? Vers quelle étable ou quelle prairie ou quelle mangeoire ou quel abreuvoir se dirigeait-elle ? Quels étaient ses objectifs ?


Etait-elle partie à la recherche d’une aventure sexuelle ? Revenait-elle de chez Aldi où elle avait l’habitude (elle mangeait les restes et

- Pour ne pas acheter bêtement !

se remplissait le ventre avant) de faire ses courses, une fois par mois, après avoir touché le chômage, le minimex ou

- Je l’avais envoyé chercher une bobine de fil rouge et bleu chez Delhaize, près des allumettes… Je l’attends toujours… Il n’est jamais revenu…

une pension de veuve ?

Fuyait-elle quelque chose… un feu de brousse, allumé par des chasseurs et qui embrasait toute la plaine ?

Ou quelqu’un… un noblaillon désargenté, sans titre ni domaine, socialement déclassé et zoophile par surcroît qui lui aurait fait part

- Arrête à la fin ! Altère ta joie !

de sa passion et dont elle aurait repoussé les avances audacieuses ?


Avait-elle passé toute son après-midi à fouiner dans les étals du bouquiniste du n° 184 de la chaussée d’Ixelles, le « soldeur sachant solder », pour y trouver livre de recettes

- Comment faire pour attirer de nouveaux mecs ? Se frotter l’intérieur des cuisses avec des graines de baobab, de l’encens, de la cire, de la menthe ou de la bouse d’auroch, de bison ou de zébu !

d’amour à cinquante cents ?


Suivait-elle un corbillard ? Avait-elle sauté d’un camion en marche pour ne pas finir sa vie sur un croc de boucher ? Lui avait-on d’abord pris

- Veux-tu bien te taire ?

le bras puis mis la main

- Arrête de pleurer ! Arrête de prier ! Arrête de gueuler !

sur la bouche puis saisie

- Mais tais-toi donc ! Tais-toi ! Tais-toi !

à la gorge et lui avait-on serré, serré, serré, serré, serré, serré, serré le cou et l’avait-on étranglée avec un cable électrique, lardée de coups de couteau, tabassée et violée avec un manche à balai parce qu’elle n’arrêtait pas de pleurer ? Mais peut-être, tout simplement, avait-elle bu trop de Duvel (la bière diabolique au si beau col) ou de Leffe brune ou de Chimay bleue et s’était-elle endormie au bord de la route ?


Une hyène charge.

- Tire-toi vite de mon repas ! Je suis pressée !

Mieux vaut, en effet, ne pas être surpris par le fermier le museau enfoncé dans l’Entre-Sambre-et-Meuse et la vallée du Viroin de sa vachette.


On a volé l’arrêt du bus de la place Fernand Cocq


La nuit dernière, on a volé

- Soumaya vient de constater l’infraction, petite chérie ! Elle a passé un coup de fil à Lianja pour qu’il me prévienne !

l’arrêt du bus de la place Fernand Cocq… par où ne passe jamais le bus 96

- Non, douchka, le 95 ! Le 96 va à Delta…

- Tu es sûre de ce que tu dis, petite chérie ?

que le Peuple emprunte lorsqu’il se rend à Heiligenborre…

mais où s’arrêtent les bus 54 et le 71… qui conduisent le Peuple jusqu’au métro de la porte de Namur… sur le chemin de la Régie des Bâtiments et de la Brasserie de l’Union.


Où aller maintenant ? Que faire ?

- Jan De Cort, Henri Jouant et Didier L’Homme m’ont donné rendez-vous à l’Union vers midi, comment je m’arrange, petite chérie ?

- Un peu de marche à pied, douchka… ça ne te fera pas de mal !


Le Peuple a des trous.

Des trous dans l’arrêt du bus de la place Fernand Cocq...

Des trous dans le plancher du salon et de la salle à manger (les clous des talons de Mââm Corine), des trous dans les fauteuils, des trous dans le rideau (les mégots des clopes de Jipéji), des trous dans le gant de toilette et dans l’essuie

- On ne dit pas essuie, on dit serviette, douchka !

de la salle de bains

Des trous dans la grammaire, dans le vocabulaire et dans l’orthographe... Des trous dans les bonnes manières. Des trous dans les chaussettes, le slip et la chemise… Des trous dans la mémoire… Des trous dans les poumons, l’estomac et les intestins… Des trous dans les oreilles…

- Dis plutôt que tu es devenu sourd, douchka !

- A moitié sourd de chaque oreille ou complètement sourd d’une seule oreille, petite chérie ?

- A quoi ça sert de te répondre, douchka, tu ne m’entendrais même pas !

Des trous dans la caboche

Un seul trou dans le blouson

- J’imagine que c’est pour moi ça, douchka ? Merci !

à la hauteur du sein.


Le Peuple n’a plus de certitudes. Il a des trous et

- C’est l’âge, douchka !

ne sait plus comment les jointoyer…


Un anonyme du vieil Ixelles


C’était un vieil arbre, à la respiration courte, aux ongles noirs, aux dents rares et aux cheveux clairsemés, qui sentait le pot de chambre et l’eau de Javel. Il chaussait des babouches rouges sales sur des chaussettes trop longues qui lui retombaient sur les chevilles. Il était vêtu d’un costume gris rapiécé (les manches de son pantalon étaient retenues par des pinces à linge) et d’un peignoir de bain à fleurs pourpres (un peignoir usé ayant déjà connu d’autres corps) (un peignoir élimé dans lequel plusieurs autres personnes avaient déjà vécu et, peut-être, étaient déjà mortes).

Il transportait une cocotte-minute. Tout cabossée. Sans plus de caoutchouc ni de soupape. Aux oreilles ébréchées. Et dont le couvercle ne se vissait plus comme il faut. Un très ancien modèle d’autocuiseur (en aluminium ou en fonte émaillée ?) qui devait dater des années heureuses du siècle passé (à l’époque du bikini, de la crème glacée, du be-bop, de la 2 CV, du Congo belge, des débuts de la pilule, du camping à la mer où on faisait la queue aux toilettes avec son rouleau de papier hygiénique à la main, du milk-shake, des pin-up, du hula-hoop) (à l’époque où on pouvait voler des disques dans les grands magasins en les cachant dans des boîtes de pizzas) (entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de la guerre du Vietnam) (la guerre de Corée n’ayant jamais été qu’une courte parenthèse ou une première mise en bouche ?).

Il la tenait vaille que vaille, par les oreilles, sa cocotte. Devant lui. Des deux mains. Peureusement. Rasant les murs. Comme un voleur de bouteilles de lait (qu’on déposait jadis sur le pas des portes) ou de journaux (qu’on glisse encore aujourd’hui dans les boîtes aux lettres).

A quel trafic se livrait-il ?


En traversant la chaussée d’Ixelles, à l’angle de la rue Maes, le vieil arbre a été effrayé par un coup de klaxon (hurlé méchamment par un camion de Bruxelles-Propreté, un bus-accordéon de la ligne 71 ou la Jaguar d’un dealer impatient de la place R. Blyckaerts ou de la rue Malibran). Le vieil arbre a heurté la bordure du trottoir et s’est étalé de tout son long. Le couvercle de la cocotte a glissé et a roulé dans le caniveau...

Et les passants ont pu voir ce que contenait la casserole : trois ou quatre kilos de bidoche suspecte (blanchâtre et rosâtre, baveuse et sanguinolente) !

Dénoncé par un riverain

- Un bon citoyen !

scrutateur et vigilant, le vieil arbre (tremblant de tous ses membres, assis sur le rebord du trottoir, vérifiant l’état de son dentier) a rapidement été interpellé, aussitôt embarqué et immédiatement interrogé par les forces de l’ordre (qu’est-ce que tu transportes ?) (c’est toi qui fait exploser des marmites bourrées de clous et de dynamite ?) (des tripes de quoi ?) (des déchets chirurgicaux ?) (des fœtus et des cordons ombilicaux ?) (des capotes en boyaux de mouton ?) (trouvés dans un sac-poubelle

- Tu vas répondre à nos questions ou tu préfères qu’on te noie dans la cuvette des chiottes ? Ou bien veux-tu qu’on te frotte les couilles et le trou de balle avec du papier de verre ? Ou bien veux-tu qu’on t’oblige à sucer la queue d’un berger malinois diplômé de l’école de police ?

ou volés à la maternité de l’hôpital d’Ixelles ?) (ou dans les ateliers de liposuccion d’une clinique de chirurgie esthétique ?) (connais-tu seulement les gens à qui appartiennent les dos, les ventres, les cuisses, les genoux et les fesses dont sont extraits ces sucs, cette barbaque et ces graisses?) (disposes-tu de leur autorisation écrite ?) (peux-tu produire la facture d’achat et le certificat de conformité et de traçabilité de cette bidoche ?) (comment comptes-tu préparer et manger cette charogne ?) (avec un assaisonnement de sel, de pili-pili, de moutarde, de gingembre, de vinaigre, d’oignons rosés, d’aïl, de coriandre et de fines herbes ?) (avec un accompagnement de bave de limaces, de mucus de sangsues ou de salive de chauves-souris porteuses du virus hémorragique d’Ebola ?).

Le vieil arbre a passé plusieurs heures dans les locaux du commissariat, pieds nus, en caleçon, menotté dans le dos ou attaché à une chaise (sur laquelle il lui était interdit de s’asseoir) ou à un radiateur (sur lequel il lui était interdit de s’appuyer), sans oser demander à boire

- On ne réclame pas un verre d’eau à un flicard qui menace de t’enfoncer la caboche dans la cuvette des chiottes !

et sans rien recevoir à manger.


Finalement, après quelques analyses sommaires et d’inutiles vérifications, le vieil arbre a été autorisé

- Remets tes pantoufles, emporte ta cocotte (ça pue !) et fous-moi le camp d’ici !

à se rhabiller et à reprendre son histoire là où il l’avait laissée. Au coin de la chaussée d’Ixelles. Là où ses mésaventures avaient commencé. Et de la rue Maes. Là où les flics l’avaient empoigné. Sur le trottoir.

Eh oui, le vieil arbre n’était pas bien vu dans son quartier. Les gens d’ici l’appelaient « vieux chancre » ou « chancre urbain ». Il fouinait dans leurs poubelles et déballait leurs secrets. Il finissait leurs mégots (ramassés dans les caniveaux) et aspirait le fond de leurs pensées. Quand des voisins bavardaient sur le trottoir ou à l’entrée de l’épicerie de Gourad ou de la boucherie de Mimoun ou devant le salon de coiffure Kinam ou sous le auvent de la station-service KDO, il avait la mauvaise habitude de s’approcher d’eux, discrètement, en pantoufles, et d’interrompre leurs conversations par son silence.

Quelquefois, alors, il leur demandait la pièce. Quelques centimes. Moins d’un euro. Juste pour faire l’appoint. Et ça dérangeait. On disait qu’il avait les oreilles en peau de banane mais il n’était pas sourd. On se méfiait.


Mais peut-être* était-il apparenté à Georges Pirard, soixante dix-huit

- Septante-huit !

ans, qui n’a jamais manifesté contre la disparition du franc belge et l’augmentation du prix des billets de banque mais qui vient, à nouveau, d’être

- Aucun pécheur ne peut espérer échapper à la sanction divine (aux caméras de surveillance, aux flics et aux juges du Seigneur) !

arrêté, poursuivi et condamné pour avoir cambriolé les poubelles des riches

- Des riches seulement ?

- Les riches roulent dans de meilleures voitures, ils épousent de plus belles femmes, ils habitent des logements plus confortables, ils mangent mieux et sont mieux habillés !

- Et alors ?

- Alors, ils ont des poubelles bien remplies ! Tu vois bien que, dans les poubelles des pauvres, il n’y a jamais rien ! Même que la poubelle de la rue de l’Economie a bien meilleure mine que certains habitants du quartier du Jeu de Balle !

dans les beaux quartiers d’Uccle, de Watermael-Boitsfort ou de Woluwé et volé « l’argent des pauvres » dans un tronc de l’église de Zomergen ? Ou de l’église Saint-Pierre de Lommel

- En Flandre seulement ?

- Tout le monde sait qu’en Wallonie et à Bruxelles, il n’y a pas d’argent dans les troncs ! Que des capotes mouillées et des boutons de braguette !

ou de l’église Notre-Dame de Vosselaer ?


Pourquoi, en effet, louer des appartements sordides (et planter des clous dans une poutre ou linteau pour se faire un portemanteau), payer des factures d’eau et d’électricité (ou dépenser du fric dans des hôtels minables ou des maisons de retraite crasseuses) quand on peut loger et se faire soigner et damer à l’œil dans les prisons de Saint-Gilles ou de Forest, où les robinets coulent sans arrêt et où les néons ne s’éteignent jamais ?

En toute liberté.

- On ne doit même pas préparer la bouffe et faire la vaisselle ! On passe son temps à se cultiver : on s’échange des adresses et on partage des expertises ! On peut même apprendre plein de métiers : comment coudre des pantoufles et dans quel sens coller des boîtes en carton ! Et, avec de la chance et des relations chez les matons, on peut même être autorisé à tondre à la main la pelouse de la maison du directeur !

Il suffit de se laisser prendre. En hiver. Et d’attendre la fleuraison des pissenlits. Et de jouer à la loterie pour passer le temps

- Et si je gagne le gros lot, je me remarie ! Direkt !

Mais peut-être était-il aussi apparenté

à Jésus de Nazareth, coincé dans le Sinaï et

- Avec son portable ?

- Oui mais il n’y avait pas de réseau ?

invectivé par Kurt Beck, dirigeant social-démocrate allemand, et

- Lave-toi et coupe-toi les cheveux si tu veux trouver du travail !

accusé de s'être bourré la gueule après avoir été jeté par Marie-Madeleine, sa copine, ou par Judas, son giton et

d'avoir mangé une portion de frites et deux boulettes de viande hachée sauce tomate et

d'avoir consommé trois lignes de coke pour se remettre les idées en place et

de s'être rasé les cheveux et

de ne pas avoir regagné son domicile et

de porter des traces d’égratignures et d’éraflures sur tout le corps et

d'avoir vomi dans un avaloir, souillé ses vêtements, éclaboussé ses chaussures, escaladé un muret, dormi dans le parc de la Bouverie et

regardé le match France-Suisse à la télévision…

à Jean-Emile Caudron, à Henri Jouant ou à Abdallah Ait Oud ?


Ou était-il ce vieux bonhomme édenté et chauve (mais portant une casquette), rencontré, un jeudi, aux heures de midi, à la Brasserie de l’Union (avec Henri Jouant et Jeannot Tirtiaux) qui se plaignait de problèmes hémorroïdaux et les attribuait

- Ne serait-ce pas plutôt une sévère constipation due à des excès charnels ?

à des sévices sexuels subis pendant l’enfance mais qui

- Tu ne préfères pas une Camel « toute faite » ?

- Non, j’ai un cancer du poumon… en phase terminale… et je n’en ai plus pour très longtemps à vivre !

préférait rouler ses clopes à la main pour réduire sa consommation de tabac et augmenter

- Tu as encore plein de trucs à faire ! Tu n’as pas encore écrit ton testament ? Tu as même des « biens » à laisser ? Et des gens qui voudront bien les prendre ?

son nombre de semaines à encore subsister ?


* D’après une photo d’Olivier Le Brun.



Vieux Didier aurait-il encore oublié de reboucher le tube de gel vaginal de Motema Magique après s’être brossé les dents ?


Motema Magique reproche à Vieux Didier de ne pas lui avoir ramené des sandales du Togo en

- Même pas en cuir de boeuf !

peau de serpent… des sandales sourdes et muettes, au sang froid… qui glissent et se déplacent sans faire de bruit…

- Ni de zèbre, ni d’antilope, ni de buffle !


Mais seulement des savates en

- On n’allait quand même pas, pour tes beaux pieds, assassiner un Python protecteur !

- Oui, mais…

- On n’allait pas non plus, petite chérie, trois semaines avant Noël et la nouvelle année, sacrifier en ton honneur, tout un bœuf du troupeau du « Commissaire »… avec lequel plusieurs familles auraient pu festoyer !

- Oui mais enfin, douchka…

- On n’allait pas, enfin, risquer que des Buffalo Bill, Indiana Jones, Philippe Lambillon, Nicolas Hulot, Ernest Hemingway ou Bob Denard, touristes-safaristes ou « militaires en civil », toujours à l’affût (avec des stetsons, des fusils à lunette ou des caméras infrarouges) d’une prise de vue ou d’un trophée sanglant, abattent, à ta demande, un zèbre, une antilope ou un buffle… et qu’ils exigent, en contrepartie, que tu t’entoures les cuisses, les mollets et les pieds avec les affaires intérieures de la bête crevéee (au Congo belge, les Nokos conseillaient aux chasseurs intrépides d’ « attacher les entrailles à une corde, faire de l’estomac des ‘chaussures à un noir’ qui, tirant après lui le paquet d’entrailles, fera des traînées de quelques centaines de mètres, plus elles seront longues mieux cela vaudra, autour de l’appât ») et t’obligent à courir, courir, courir, courir, courir, en cercles concentriques de plus en plus larges, de plus en plus larges, de plus en plus larges, courir, courir, courir, courir, courir, courir jusqu’à épuisement, aux abords de la carcasse de l’animal afin d’attirer les bêtes fauves… Tu aurais été déshabillée et mangée toute nue par des amateurs de viande crue, petite chérie… Les lionnes ne t’auraient pas épargnée… Et je n’aurais pas eu ma part…

plastoche.


Tous les reproches qu’on adresse à Vieux Didier sont, estime-t-il…

- En pleine connaissance de cause !

injustes et mal documentés… sauf ceux qu’il s’adresse à soi-même... et c’est la raison pour laquelle Vieux Didier préfère garder ses fringues sous clef et ne pas porter ses vieux slips à la connaissance

- Surtout de Jipéji !

des « larges masses populaires »…


Et Vieux Didier, lui, n’est pas comme ça bien sûr ? Il n’adresse jamais de réprimandes à Motema Magique ?

A-t-il jamais reproché à sa toute jeune épouse, enceinte de leur premier garçon, de puer

- Ce sont les gaz ?

de la gueule, de vider les quatre dernières clopes d’un paquet d’ Ambassade « spéciales » et de se taper encore trois chopes de Skol avant de prendre

- Je ne suis pas rassurée quand c’est toi qui conduit, douchka !

elle-même le volant de Pénélope pour se rendre

- Où ça, où vas-tu, petite chérie, à Mama Yemo ?

- Mais non, tu n’es jamais au courant de rien, douchka, à la clinique de Ngaliema !

à la maternité, avec Djuna dans sa poche, très excité, pressé de sortir et de prendre l’air… pour grimper à un arbre, plonger dans la rivière ou faire de la capoeïra ?



Foudrol


Ça se réchauffe, semble-t-il.

La terre redevient meuble. La semaine dernière, des archéologues amateurs ont retrouvé les corps de trois soldats britanniques dans un champ de Ploegsteert, à treize kilomètre d’Ypres, où des chevaux dormaient sur pilotis…

Et une fourchette.

Et une cuiller.

Et quelques munitions.


Les bus de la STIB commencent à changer de couleur. Même le 96

- Non, douchla, le 95 ! Le 96 va à Delta

- Ou l’inverse, petite chérie !

qui va à Heiligenborre... On les avait aimés jaunes (comme le maillot des joueurs du Barça jouant à Milan le match aller d’une demi-finale de coupe d’Europe de football) et bleus en hiver. Et voilà qu’on les retrouve, au printemps, « griseux ». Avec, semble-t-il, une bande orange (comme le haut du t-shirt et le bracelet de la montre de la jeune

- Et jolie ?

madame qui interviewe Jean-Marc Turine à la librairie « Quartier Latin ») (une longue jupe lui recouvre les bottines, on n’arrive pas à distinguer la couleur de ses chaussettes) au ras des fesses.


L’auteur somnole pendant la lecture d’un extrait de « Foudrol » ? L’auteur rêve-t-il d’être interviewé par une jeune

- Et jolie ?

madame orangée qui n’aurait pas lu son roman (sauf la dernière page de couverture) et le laisserait répondre à

- Etes-vous l’auteur d’un documentaire animalier sur la vie érotique et nocturne des champignons vénéneux ?

ses propres questions ? Ou qui l’aurait lu différemment et lui apprendrait plein de trucs excitants sur lui-même ?


Les « noirs » de Bernard Villers illustrent le livre de Jean-Marc : il n’y a plus de photos de famille (pas même des « semble-t-il » ou des stèles funéraires, laminées par la grêle et le vent, n’attendant plus la visite de personne, dans un cimetière

- Seuls les corbeaux visitent encore leurs morts ! Seuls les corbeaux gardent encore la mémoire des charniers !

à l’abandon devenu, l’âge aidant, une décharge sauvage), il ne reste plus que des trous de mémoire, des papiers illisibles, des plaques militaires indéchiffrables, des négatifs de photo qu’on ne peut plus développer, des miroirs pour aveugles qu’on regarde par derrière, côté tain.



Elle se déplace comme un joueur de foot


Olang dit, ce matin, à Papa Didier que Muka (mis à part la violence dans les stades, le racisme des supporters, les trafics de joueurs, les matchs truqués, etc) aime certainement le foot.

- J’ai toujours pensé ça ! D’ailleurs elle se déplace comme un joueur de foot, non ?

- Ah bon ! Elle dribble, fait des passes, reprend le ballon de la tête, tire au but ?

- Ouiii !

- Elle touche le ballon de la main, tacle son adversaire ou lui file un coup de tête, agrippe son moule-bite et lui broie les couilles?

- Eh oui, aussi !

En voilà un bien joli compliment ! Très particulier ! Bien torché ! Un sacré coup de lèche !

- Je transmettrai !

Elle ne se reconnaîtra probablement pas… elle n’aimera sans doute pas… mais ça n’empêche, un compliment d’Olang, ça devrait lui faire vachement plaisir, non ?


Ecrire des histoires


Valencia.

Les Français disent Valence (alors qu’ils ont déjà ça chez eux), ce qui est profondément ridicule. Paris supporterait-elle d’être appelée Parijs ?

- Il y a du soleil à Valencia ?

- Oh oui ! A fond !


Vieux Didier doit se remettre à écrire. Mais quoi ? Des histoires ringardes ? Quelles histoires ? Les évangiles de Ketchup-Mayo et de Papa Colonel ? Les tribulations de Kleintje et de Flurk la Canaille ? L’histoire heureuse de la brebis égarée qui tombe

- Où pourrait-on se revoir, petite chérie ? Dans une maison de thé ? Au bord de l’eau ?

- A la pointe de l’aube, une fois par an, au fond des bois !

- Près du hêtre ou près du châtaignier, dans le taillis de noisetiers ou dans le bouquet de bouleaux… chez les Jadin, à Stu, petite chérie ?

- Sous toutes sortes de feuillus, douchka ! Mais viens seul ! Et ne sois pas trop bruyant !

amoureuse du bouc émissaire ? L’histoire malheureuse du pitbull dont on a arraché toutes les dents en or ? L’histoire affligeante d’un ascenseur et d’une escalière qui, à la fin de leur existence (alors que la fontaine de l’une était déjà tarie et que le lézard de l’un était tout desséché et qu’ils n’était plus, l’une et l’un, en état de se reproduire), ont fini par se rencontrer, en hiver, dans la déchetterie de la rue de la Cible, à Saint-Josse ? L’histoire déprimante du dormeur du val et de la belle au bois dormant qui, ne partageaient pas la même couche et ont passé leur vie à se rater ? L’histoire emmêlée du grand méchant loup et des trois petits chaperons rouges ? L’histoire insignifiante d’un tatouage abdominal décoloré par le soleil et l’eau de javel ? L’histoire ambigüe d’un prince charmant qui traite ses couilles comme des hémorroïdes et repousse ses affaires extérieures à l’intérieur de son corps de façon à pouvoir chausser un cache fri-fri ? L’histoire édifiante de la pieuvre qui s’introduit dans un panier à homards et mange tellement de poules qu’elle n’arrive plus à sortir de la niche du chien du fermier ? L’histoire inattendue de Perette et de la vache folle ? L’histoire désopilante de Saint Martin (et celle de Superman, le justicier à la cape, qui se prend pour Saint Martin et perd tous ses pouvoirs dans une telle aventure) dont le manteau reste coincé dans les portes d’une rame de métro de la STIB, à la station Rogier ?


Il faut absolument que Vieux Didier se remette à écrire. Mais comment ?

- Que je scénarise ma vie et celle des autres… et que j’interprète mon personnage et eux le leur ?

Et qu’il écrive comme qui ? Comme Achille Ngoye avec une clope au bec et un verre de bière à la main ? Comme Kangni Alem avec une caméra sur l’épaule ? Comme Chéri Samba avec des éclats de rire qui le jettent par terre et ne lui permettent pas de rester assis longtemps dans son fauteuil ? Comme Thelonious Monk hési-

tant entre deux notes avant de se déc-

ider, pas-

sant à la ligne sans prévenir, lais-

sant ses phrases en sus-

pens ? Vieux Didier doit se remettre à écrire, wi ! C’est une question de lubrification, won ! et/ou de lubricité, wé !

Ecrire hors commerce et hors compétition. Dans la dissidence et la clandestinité. Hors contrôle. Hors censure. Hors limites. Off-shore. Sans vergogne et sans muselière. En dehors de l’église, de la banque et du parti. Comme un barbare ombrageux. Hyperactif et compulsif. Non-transigeant, non-corruptible, non-recyclable, non-apprivoisable et non-récupérable.


Mais écriiiire est devenu vraiment quelque chose de très difficile. Très. Avec une craie qui criiiisse. Trop. Surtout depuis que Vieux Didier ne prend plus de pili-pili et qu’il ne grignote plus de gingembre (pour soulager les nausées matinales de ses premiers mois de grossesse) et qu’il n’ose plus manger

- Il y en a toujours un qui pique ! Et quelquefois, ils piquent tous !

un cageot entier de « pimientos padrones ».

Les mots ne viennent plus. Pressé-Pressé se relit, Monoko Mabe se relit, Ducon se relit, ddl se relit, Mundele Madesu se relit, le Mari de la femme du Peuple se relit… et Pourriture aussi et

aucun d’entre eux n’y prend vraiment plaisir.

Tout comme Vieux Didier (et tous les autres de la même bande) n'arrive même plus à me branler de rire ou de rage à la lecture du courrier des lecteurs du Vlan :


« On dira que je suis raciste, que je ne suis pas chrétienne, mais j’aimerais pouvoir rentrer dans une église en toute tranquillité et ne pas être agressée par des sans-papiers, dans une église abîmée, dégradée, sale », « Le coupe-vitesse de l’avenue Blücher est encore plus dangereux que celui de l’avenue Jacque Pastur » ; « Je monte dans le bus à Hankar, bondé. Sur la plate-forme, trois grandes poussettes, trois mères empêchent de prendre place sur les deux banquettes… »


Et ses propres phrases, Vieux Didier les trouve de plus en plus tristes. Et ternes. Et fades. Et grises.

Tout ça le déprime.

Un poisson d’aquarium se cogne le museau sur (ou contre ?) un rocher artificiel. Un poisson de mer en a marre de recevoir des "bouteilles à la mer" sur (ou dans ?) la gueule. Vieux Didier se prend la tête dans (ou entre ?) les mains.

Comment peut-il écrire aussi mal ?

Vieux Didier doit-il demander à Jipéji de venir à son secours ?


Mais

Ana (et le Congo) rejoignent Vieux Didier dans deux jours.

A Valencia.


Les gens se lèveront et se mettront à danser (on observera un frôlement d’ailes entre deux appareils en mouvement sur le taxiway) (particulièrement exalté, un des danseurs se tordra la cheville et sortira de la piste sur une civière). Les oiseaux (on ne les verra pas toujours mais on les reconnaîtra à leur chant) se laisseront emporter par le vent, la musique et les odeurs.

Quand Ana (et le Congo) ne sont pas là, Vieux Didier s’éteint, ne rit plus, ne fait plus rire et, surtout, ne fait même plus grincer des dents.


Ana (et le Congo) arrivent. Les robes colleront aux fesses, les chemisiers s’échancreront, les nombrils se découvriront.

Ana (et le Congo) arrivent. Les nuages se disperseront (agitant leurs ailes, remuant leurs oreilles, se déplaçant à la nage ou à la rame) ou se dissiperont. Des lamas seront sacrifiés au soleil. Une mascleta explosera. Vieux Didier se remettra à

- J’aurais aimé inspiré Brahms (et surtout pas Wagner) ! Mais Luambo Makiadi (alias Franco de mi amor), Ngiama Makanda Werrason ou Mopao Monkonzi Koffi Olomide, ça ne m’aurait pas déplu ! Et, pour mon malheur, il a fallu que je tombe sur toi, douchka ! Mawa vraiment…

écrire.


Dans le hall d’un immeuble


- Si je te viole dans le hall d’un immeuble de l’avenue Henri Schoofs à Auderghem avec le canon d’une arme à feu, ça va te réveiller ? Ou dans une cave aménagée en « chambre » (un divan, des préservatifs et des fauteuils pour les pointeurs-assistants et les spectateurs) du n°80 B de l’avenue de la Brabançonne ? Ou dans les taillis, sous les ronces, à l’entrée de la grotte miraculeuse du square Marie-Louise ?

- Surtout pas !

- Et si je te dis qu’il y a des cafards dans ta cuisine ?

- Allez peï, un peu de sérieux dans le frouchelage, comme dirait François Maréchal ! Tu te concentres et tu fais bien ton boulot, quoi !

- Et si je te fais exciser par la femme du forgeron tandis que deux solides matrones te maintiennent les jambes écartées ?

- Fasciste !

- Sans anesthésie ?

Devrai-je chercher mon avenir (ou introduire ma supplique) dans les petites annonces d’un journal publicitaire ? Chercher un greffon, une jeune veuve affranchie, ayant hérité d’une maison-boîte d’allumettes et d’un jardin-mouchoir de poche et adorant se coucher au soleil, danser devant le miroir (pour attirer l’orage ou stopper la pluie), s’épiler le pubis et papoter au téléphone, toute nue ?

Ou basculer carrément au début du vingtième siècle et fréquenter, tous les samedis après-midi, le bal des prostituées accessibles aux personnes à mobilité réduite, des femmes de musique de chambre et des bonnes d’enfants de prêtres-sorciers ?


Elle a rendez-vous à l’hôpital Erasme


Ce matin, à

Bruxelles, à

onze heures, Motema Magique a

rendez-vous à

l’hôpital Erasme. Elle a promis de téléphoner juste a-

- Ouais, elle n’en fera rien ! Ouais, elle me dira ce qu’elle voudra bien me dire ! Ouais, elle ne me dira rien !

près. Mais cet après-midi, à

17 heures à

Valencia, Pressé-Pressé attend toujours qu’elle l’a-

- Je casse le téléphone (je le jette sur le sol, je lui crache et je lui pisse dessus, je le piétine) pour ne plus entendre le son de ta voix !

ppelle. Pressé-Pressé commence à

chocotter et à

- Une courante de vache laitière coupable de dysenterie amibienne !

chiasser dans son froc. Mais, peut-être, est-ce le café de Sa-

rah ou le jus d’orange de Moura ou le gazpacho d’A-

gnès ? Mais, peut-être, Motema Magique joue-t-elle au scra-

- Voyons, Alain, ne cherche pas encore à tricher, une dame, il faut un « e » à la fin ! Sinon c’est un homme !

bble avec Ala

- Un « m », c’est un « n » à trois pattes, non ? Tout à fait monstrueux ! essaie de se défendre Alain…

- Avec une mauvaise foi tout à fait scandaleuse ! Comme toi, douchka, sur tout plein d’autres trucs ! Décidément, vous les hommes, vous êtes tous les mêmes !

in Brezault et se posent-ils des problèmes d’orthographe ? Ou, peut-être, rend-elle visite à Marie-José Engulu (prendre des nouvelles de sa santé, partager une bière, lui remettre un paquet de la part de Max Ngbanzo la Mangale) (un petit sac d’excréments de bagages que Max a

- Si tu as encore de la place !

demandé à

Marie-José de lui transporter à

Kinshasa), Judith Bisumbu, Malou Fontier ou Rachou Mpanu-Mpanu ? Ou, peut-être, a

- N’oublie pas d’amener quelque chose à Paquita ! La fois passée, elle n’avait rien reçu ! Et jusqu’à présent elle ne t’a encore rien volé…

chète-t-elle un rouleau de boudin noir, des tranches de Passendaele, des biscuits au beurre et aux amandes ou des ballotins de pra-

lines ?


Enfin, Motema Magique point


D’abord le jour, Agnès et

- David, dépêche-toi ! Tes œufs vont être froids ! Tu vas encore être en retard à l’école, à ton rendez-vous chez le dentiste, à la plage, au boulot !

- Mais à quelle heure tu me tires du lit, maman ? Bientôt, tu m’enverras réveiller tous les coqs du quartier ! Et c’est encore moi qui vais me prendre dans la figure toutes les toiles que les araignées auront tissées durant la nuit !

- Il n’y a pas de coqs dans le quartier, fainéant ! Sauf à la Mercadona ! Et encore sont-ils découpés en morceaux et emballés dans du plastique ! Et ma maison a toujours été bien tenue, que je sache ! Et je te mets au défi de prétendre le contraire ! Il n’y a jamais eu d’araignées à Isabel la Catolica ! On n’est pas à Nassogne (Belgique) ici !

David se lèvent


Ensuite, plusieurs heures

- Toute la première moitié de la matinée, oui !

plus tard, quand les nuages ont fini de se dénouer et de se délayer et que le soleil commence à s’embraser, enfin

Motema Magique, vers dix heures trente, point

et consent à se montrer